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Note de lecture

Hervé Bichat - Et si l’agriculture sauvait l’Afrique ? Éditions QUAE, 2012, 155 p., 16€

Thierry Pouch
p. 89-90

Texte intégral

  • 1 Dumont R. (1962). L’Afrique noire est mal partie. Éditions du Seuil.

1L’époque est aux anniversaires et autres célébrations. En 2012, les lois d’orientation agricoles ont pu donné lieu à quelques retours sur l’histoire de la modernisation des structures agricoles françaises. Il en était de même pour la PAC, consolidée en 1962, même si la célébration a été somme toute bien trop discrète. C’est également en 1962 que René Dumont, le célèbre professeur de l’école d’Agronomie de Paris, mais aussi non moins célèbre candidat à l’élection présidentielle de 1974 sous l’étiquette écologie, publiait son L’Afrique noire est mal partie1. Cinquante ans après, cet ouvrage constitue une des motivations d’Hervé Bichat pour rouvrir le débat d’une part sur la situation actuelle de l’agriculture africaine, et d’autre part pour prendre la mesure des potentialités de ce continent. Au-delà de la célébration et de l’examen rétrospectif qu’elle contient, l’autre point de départ – sur lequel s’appuie l’auteur – est que l’agriculture est redevenue une priorité du développement, après un quart de siècle durant lequel a triomphé le Consensus de Washington, lequel invitait les pays en développement à démanteler leurs dispositifs de régulation agricole et à se spécialiser dans des cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières. Hervé Bichat y voit d’ailleurs l’une des causes de la stagnation, voire de la régression, du secteur agricole en Afrique, mais prend acte dans le même temps de la réversibilité des prescriptions, dans la mesure où la Banque mondiale a restauré l’importance de l’agriculture dans le processus de développement, dans son désormais bien connu Rapport de 2008.

2Une précision s’impose d’emblée. Le titre ne correspond que partiellement au périmètre géographique traité puisque, en réalité, l’auteur n’étudie que l’Afrique subsaharienne, ce dont d’ailleurs il s’explique très rapidement au début de son ouvrage. Partant de là, l’ouvrage se compose de deux parties, l’une essentiellement destinée à mettre en perspective historique la situation agricole de l’Afrique subsaharienne, l’autre ayant pour visée d’apporter la démonstration que les potentialités agricoles de ce sous-continent sont importantes et que ce secteur peut contribuer au développement des économies africaines. Dans une sorte de préalable à la première partie, Hervé Bichat rappelle à quel point l’Afrique subsaharienne connaissait une situation économique plutôt favorable entre la fin des années 1950 et les années 1960. Dans le domaine agricole et alimentaire, il précise même que les populations africaines étaient sans doute mieux nourries que celles d’Asie ou d’Amérique Latine, alors que le constat s’est inversé aujourd’hui. Il s’ensuit une analyse approfondie et plurielle de la dynamique de l’agriculture en Afrique, ouvrant sur une réflexion quant aux perspectives de réduction de la pauvreté et de la malnutrition.

3Le premier mérite de cet ouvrage est de livrer une mise en perspective historique de la situation agricole de l’Afrique subsaharienne. Ce type d’exercice est suffisamment rare en économie qu’il était indispensable de le souligner. La lecture de la première partie nous fait même remonter jusqu’au Xe siècle, pour arriver aux temps des colonisateurs et au choc qu’a pu représenter le moment colonial. À partir d’une analyse de la colonisation et de ses effets, l’auteur distingue ensuite les causes apparentes et les facteurs plus structurels des difficultés actuelles de l’agriculture dans cette région du monde. Il balaie alors les différents registres politiques, économiques, sociaux, et agronomiques, afin d’y trouver les causes de la stagnation, voire de la régression de ce secteur agricole depuis les années cinquante. Or, au regard de la croissance démographique qui caractérise l’Afrique subsaharienne, la question de la sécurité alimentaire n’a pas été traitée, encore moins résolue, et reste pleinement posée. C’est pourquoi Hervé Bichat explore ensuite les voies possibles d’une renouveau de l’agriculture dans cette région, afin d’enclencher une dynamique d’éradication de la malnutrition.

4Le second mérite du livre est la volonté de l’auteur à briser un certain nombre de lieux communs, d’erreurs d’appréciation, relatifs à l’Afrique subsaharienne et à son agriculture. Il invite le lecteur à se démarquer des « idéologies dominantes » en matière d’analyse sur ce secteur et dans cette région. L’une d’elle nous renvoie précisément à la vision développée en son temps par René Dumont, jugée par trop pessimiste. L’autre idéologie – que critique à juste titre Hervé Bichat –, au regard des dégâts qu’elle a occasionnés dans les économies en développement, est le monétarisme (école de Chicago).

5Hervé Bichat nous enjoint in fine de croire aux potentialités de l’agriculture de l’Afrique subsaharienne. Avec une politique agricole adaptée – il est d’ailleurs intéressant de noter que l’auteur fait de la Politique agricole commune une référence, une source d’inspiration pour les pays africains – articulée à des politiques économiques appropriées, et en développant une vision de long terme qui fait aujourd’hui cruellement défaut, la valorisation des atouts agricoles de l’Afrique subsaharienne conduira à un « développement autonome agricole », porteur de réduction de la malnutrition et de la pauvreté. En cela, la réponse à la question qu’il pose dans son titre est selon lui nécessairement positive.

6La lecture de cet ouvrage est par conséquent recommandée, même s’il manque au schéma d’ensemble que brosse l’auteur un ancrage plus théorique sur le rôle de l’agriculture dans le processus de développement économique. On peut s’en étonner, dans la mesure où, citant ici ou là l’économiste suédois Gunnar Myrdal, Hervé Bichat aurait pu saisir cette opportunité pour consacrer davantage de place à cette problématique en puisant dans des sources bibliographiques dont on connaît l’ampleur. De plus, et sans que cela ne constitue un handicap rédhibitoire quant à la qualité de l’analyse, le traitement du cas de l’Afrique subsaharienne semble très agricolo-centré. En se projetant sur le long terme, en esquissant quelques pistes de développement de l’agriculture et de ses répercussions sur les économies de la région, l’auteur oublie de s’interroger sur l’articulation d’un – voire d’une variété de modèles de production agricoles – modèle agricole en devenir avec un régime de croissance/développement macroéconomique lui-même en gestation. De ce point de vue, et comme l’auteur lui-même a fait de la PAC une référence jugée utile, il faut rappeler que la modernisation de l’agriculture européenne s’est inscrite dans un régime de croissance global, que certains ont qualifié de « 30 glorieuses ».

7Au-delà de ces quelques limites, il n’en reste pas moins que la lecture de cet ouvrage s’impose, non seulement pour une meilleure connaissance de l’Afrique subsaharienne, mais aussi, et d’une certaine façon, corollairement, pour rompre avec un discours libéral qui s’est imposé durant de trop nombreuses années, et dont les prescriptions économiques ont été fort préjudiciables au développement de l’Afrique.

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Notes

1 Dumont R. (1962). L’Afrique noire est mal partie. Éditions du Seuil.

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Pour citer cet article

Référence papier

Thierry Pouch, « Hervé Bichat - Et si l’agriculture sauvait l’Afrique ? Éditions QUAE, 2012, 155 p., 16€  »Économie rurale, 336 | 2013, 89-90.

Référence électronique

Thierry Pouch, « Hervé Bichat - Et si l’agriculture sauvait l’Afrique ? Éditions QUAE, 2012, 155 p., 16€  »Économie rurale [En ligne], 336 | juillet-août 2013, mis en ligne le 15 juillet 2013, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/economierurale/3984 ; DOI : https://doi.org/10.4000/economierurale.3984

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Auteur

Thierry Pouch

APCA-DEAT et laboratoire REGARDS, Université de Reims Champagne Ardenne

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