1Le processus de globalisation, entendu comme l’intensification et l’élargissement des échanges commerciaux, technologiques, culturels et capitalistiques entre pays et continents (Mormont, 2009) s’accompagne de changements dans les formes d’exercice de l’activité agricole : agrandissement, spécialisation, intensification, délocalisation, recours à des capitaux extérieurs et à du salariat non familial (Hervieu et Purseigle, 2013). L’agriculture dite familiale reste dominante sur le plan démographique et en termes d’utilisation de l’espace, mais elle est interrogée dans sa diversité, et par le renforcement ou l’émergence d’agricultures qui s’en éloignent, comme l’agriculture de firme (Purseigle, 2012). Ces mutations rapides du secteur agricole interrogent le devenir des exploitations agricoles, notamment dans les zones de montagne qui, du fait des contraintes de relief et de climat, ne seraient pas pleinement compétitives sur le marché agricole mondial (Martin et al., 2014). Dans certaines zones de montagne, des inquiétudes se font jour concernant l’avenir de l’agriculture, dans une situation d’incertitudes liées à la réforme de la Politique agricole commune (PAC) et à la libéralisation des marchés. La suppression des quotas pourrait notamment fragiliser les producteurs laitiers encore nombreux de ces régions (Dervillé et al., 2012).
2Or l’agriculture de montagne est reconnue pour ses fonctions socio-économiques, territoriales et environnementales : utilisation de l’espace, paysages, services environnementaux, développement rural, produits de qualité (Fleury et al., 2008 ; Wymann von Dach et al., 2013). Le maintien des exploitations en montagne est un réel enjeu. En France, comparativement à d’autres pays d’Europe, l’agriculture de montagne a été relativement préservée, en particulier, grâce aux soutiens publics mis en œuvre depuis les années 1970 (Bazin, 1999). La zone de montagne concerne 23 % du territoire métropolitain. Les exploitations de montagne exploitent en 2010 près d’un tiers des surfaces fourragères et même 41 % des superficies toujours en herbe (prairies permanentes et surfaces pastorales) dont l’intérêt environnemental est largement reconnu (Huyghe, 2008). Elles ont davantage recours à la différenciation des produits (Pfimlin et al., 2005). Elles sont restées majoritairement basées sur une main-d’œuvre familiale (Martin et al., 2014), malgré les problèmes de travail (Dobremez et al., 2005). S’intéressant aux trajectoires d’évolution des exploitations de montagne dans ce contexte de globalisation, des auteurs font ressortir des tendances d’évolution dans différentes études de cas (Garcia-Martinez et al., 2009 ; Sineiro-Garcia et al., 2014 ; Madelrieux et al., 2015) : agrandissement des structures, changements d’orientations productives, réduction de la main-d’œuvre familiale, recours accru à des stratégies de diversification et de pluriactivité à l’échelle des ménages. Ces stratégies de « défamilialisation » des activités agricoles et de « désagricolisation » des ménages ne semblent plus si éloignées de celles observées ailleurs dans l’agriculture (Madelrieux et al., 2014). Mais ces tendances peuvent-elles être généralisées au-delà de ces études de cas ? Comment se recomposent les formes d’exercice de l’agriculture dans les zones de montagne en France ? Peut-on encore y lire des spécificités comparativement aux évolutions de l’agriculture française ?
- 1 À chaque donnée de structure (surface de culture, tête de cheptel) est affecté un coefficient de P (...)
- 2 L’OTEX est définie à partir de la PBS par production ramenée à la PBS totale de l’exploitation. Un (...)
3Les Recensements agricoles (RA) offrent tous les 10 ans la possibilité d’une radiographie détaillée de l’agriculture française. Ils permettent de construire des jeux d’informations sur l’organisation de la production (Laurent et Rémy, 2000). Des auteurs ont ainsi dressé des panoramas sur l’élevage herbivore (Perrot et al., 2013), notamment dans les montagnes françaises (Martin et al., 2014). De nombreux travaux nous renseignent sur les structures agricoles (surfaces, cheptel), la dimension économique (lue à travers la Production brute standard [PBS]1) des exploitations, les Orientations de production technico-économique (OTEX2). En revanche, on connaît moins bien ceux qui travaillent, produisent et développent des activités agricoles (Gambino et al., 2012). Laurent et al. (2003) soulignent l’intérêt de dépasser le cadre de l’entité exploitation agricole pour mieux comprendre les évolutions des formes d’exercice de l’agriculture. En effet, les flux financiers entre les différentes ressources d’un ménage agricole et les choix stratégiques discutés au sein du couple témoignent de l’importance de considérer le ménage agricole et ses activités (Bel, 1991).
4Cet article a pour objectif de dresser un portrait dynamique des formes d’exercice de l’activité agricole en montagne. Puis, de le confronter à celui de l’ensemble du territoire national, en analysant les évolutions sur plus de 20 ans (1988 à 2010), dans le contexte de montée en puissance de la globalisation et des différentes réformes de la PAC – notamment celle de 1992 – qui a bouleversé les modalités des soutiens publics à l’agriculture (Bazin, 1999). Nous entendons par forme d’exercice à la fois « qui exerce une activité agricole » et « comment celle-ci est exercée ». Le parti pris est ici de présenter les évolutions sous un jour non encore analysé dans la littérature, en choisissant une entrée par les types de ménages agricoles. Nous proposons donc, dans cet article, d’aborder les questions suivantes : quels types de ménages exercent une activité agricole en montagne aujourd’hui, et en ayant recours à quel type de main-d’œuvre ? Comment est-elle exercée : dans quelles combinaisons d’activités des ménages l’activité agricole est-elle insérée, avec quelles orientations de production, mais aussi quels modes de valorisation de l’activité agricole ? Quelles ont été les principales évolutions depuis 1988 ?
5Les données des RA sont produites par les Services statistiques du ministère de l’Agriculture (SSP) à partir d’une enquête dans toutes les exploitations du territoire national. Ces données sont déclaratives et permettent de décrire les exploitations en termes de structure (main-d’œuvre, surfaces, cheptels…). C’est l’enquêté qui déclare lui-même sa profession principale et son activité secondaire, sa situation familiale, les activités de son conjoint (s’il en a un), le volume de travail qu’il consacre au fonctionnement de l’exploitation, ainsi que celui des personnes qui interviennent sur l’exploitation. Ces dernières sont caractérisées par leur statut (co-exploitant, aide familial, salarié, personnel d’entreprises agricoles ou de Coopératives d’utilisation de matériel agricole [CUMA]). L’estimation des volumes de travail de chacun est faite de façon approximative puis transcrite en Unité de travail annuel (UTA)3.
- 4 Ce travail a été effectué en ayant recours au Centre d’accès sécurisé aux données, qui a bénéficié (...)
- 5 La délimitation des Zones de montagne (ZM), issue de la Directive 75/268/CEE du 28.4.1975, est bas (...)
6Nous avons basé notre étude sur les données individuelles des trois derniers recensements (1988, 2000 et 2010)4. Nous avons appliqué à titre rétroactif aux trois RA le zonage montagne le plus récent datant d’août 2013 arrêté par le ministère de l’Agriculture5. Nous confrontons ainsi les données des exploitations dont le siège se situe sur une commune en zone de montagne à l’ensemble des exploitations de France métropolitaine.
- 6 Disposition nouvelle introduite dans le RA 2010. Dans la suite de cet article, nous n’avons pas re (...)
- 7 Ensemble des surfaces cultivées, y compris jachères, jardins familiaux, superficies toujours en he (...)
7Les RA s’appuient sur une définition statistique de l’exploitation agricole, vue comme une unité économique et de production répondant simultanément à trois conditions : i) avoir une activité agricole, c’est-à-dire produire des produits agricoles ou maintenir des terres dans de bonnes conditions agricoles et environnementales ou mettre à disposition des superficies en pacage collectif6 ; ii) atteindre ou dépasser une certaine dimension, par exemple au moins un hectare de Superficie agricole utilisée (SAU)7, 20 ares de cultures spécialisées, au moins 1 vache, 6 brebis mères... ; iii) avoir une gestion courante indépendante de toute autre unité.
- 8 Pour plus de détails sur ces typologies, notamment sur les nombres d’individus par type, voir Dobr (...)
8Le travail préparatoire a résidé dans le repérage des tendances à partir de la littérature, présentées en introduction, ce qui a permis d’orienter le choix des variables et les traitements croisés à réaliser. Nous tirons parti de l’accès aux données individuelles (tout en respectant le secret statistique) pour proposer ainsi une approche multicritère de l’évolution des formes d’exercice de l’activité agricole, en croisant les types de ménages agricoles, leurs combinaisons d’activités et orientations de production. Pour cela nous avons bâti trois typologies8.
9À partir des données des RA, nous avons considéré les personnes suivantes : le chef d’exploitation, les autres personnes qui sont déclarées « co-exploitants » et leurs conjoints. Nous avons alors élaboré une typologie de ménages : les ménages constitués d’un chef d’exploitation seul n’ayant pas de conjoint (« chef seul »), des couples dont les deux membres travaillent au moins en partie sur l’exploitation (« couple avec activité agricole partagée ») ou dont un seul des deux conjoints travaille sur l’exploitation (« couple avec activité agricole réservée »), des « associations familiales » regroupant plusieurs ménages, dont tous les co-exploitants ont un lien de parenté, des « associations non familiales » où au moins un des co-exploitants n’est pas relié aux autres par un lien de parenté.
- 9 C’est-à-dire effectuer des travaux qui concourent au fonctionnement de l’exploitation, de la produ (...)
10Pour chacune des personnes mentionnées ci-dessus, les professions (actif ou retraité) et activités principales et secondaires ont été étudiées. Ces personnes peuvent avoir une activité sur l’exploitation9 ou à l’extérieur de celle-ci. Nous avons alors identifié plusieurs types de combinaisons d’activités des ménages :
11R (pour retraite) quand au moins une des personnes considérées bénéficie d’une retraite (il peut y avoir le cas échéant un emploi extérieur) ;
12P (pour pluriactivité) quand au moins une des personnes considérées exerce une activité extérieure et qu’aucune ne bénéficie de retraite ;
13A (pour activité agricole ou sur l’exploitation exclusive) quand aucune des personnes considérées n’exerce une activité extérieure ou ne touche une retraite.
14Dix types de regroupements ont été définis à partir de la nomenclature en OTEX, afin de faire ressortir différentes orientations d’élevage herbivore, fréquentes en montagne (tableau 1).
Tableau 1. Typologie des orientations de production
Code
|
Orientations de production
|
Référence OTEX
|
LAIT
|
Spécialisé bovin lait
|
45
|
VIAN
|
Spécialisé bovin viande
|
46
|
OVIN
|
Spécialisé ovin
|
4810
|
CAPR
|
Spécialisé caprin
|
4830
|
GRAN
|
Spécialisé élevage granivore (avicole, cunicole ou porcin)
|
51+52+53+74
|
MIXT
|
Poly-élevage (bovin lait et viande, élevages mixtes d’herbivores ou d’herbivores et granivores) + Polyculture-élevage + Spécialisé équin
|
47+4820+4840+73
+83+8410+8420+8440
|
GCULT
|
Spécialisé grandes cultures
|
15+16
|
VITI
|
Spécialisé viticulture
|
35
|
ASC
|
Autres systèmes de culture : spécialisé arboriculture ou maraîchage, système combinant différents types de cultures
|
28+29+36+37+38+61
|
AUTR
|
Spécialisé apiculture et exploitations non classées (PBS =0)
|
8430+90
|
Source : les auteurs.
- 10 Mode de calcul des UTA identique en 2000 et 2010 (quantité de travail bornée à 1 par personne) mai (...)
- 11 Par circuits courts, nous entendons dans le RA 2010 une commercialisation de produits agricoles pa (...)
- 12 Données concernant l’agriculture biologique et la transformation à la ferme non disponibles en 198 (...)
15Sur la question « qui exerce une activité agricole ? », nous présentons dans les résultats les évolutions des types de ménages impliqués dans les exploitations agricoles, mais aussi leurs évolutions au regard de l’emploi (UTA10) et de la place qu’y occupe la main-d’œuvre familiale. Sur la question « comment l’activité agricole est-elle exercée ? », nous présentons l’évolution des combinaisons d’activités associées aux différents types de ménages, mais aussi des orientations de production, des modes de valorisation de l’activité agricole : transformation à la ferme, Signes officiels de qualité (SOQ), Agriculture biologique (AB), circuits courts11, activités touristiques d’accueil à la ferme12.
- 13 Les massifs ont été délimités en application de la loi montagne du 9 janvier 1985. Nous ne considé (...)
16Nous portons un regard sur les évolutions 1988-2010 dans les zones de montagne (ZM) et la France métropolitaine (FM). Notre objectif principal est de décrire les évolutions à l’œuvre, pas d’en trouver les causes et les facteurs, ni de les expliquer. Un tel travail aurait nécessité d’autres sources et une autre démarche d’ensemble (Gambino et al., 2012). Toutefois, lorsque nous avons des éléments de compréhension issus d’autres travaux ou des hypothèses, nous les mentionnons. De plus, pour ne pas véhiculer une vision uniforme des zones de montagne, nous indiquons des éléments de la diversité au sein de la ZM avec les valeurs moyennes des massifs13. Nous commençons par une brève présentation des évolutions structurelles des exploitations pour caractériser les populations étudiées.
- 14 L’UGB permet de comparer différentes catégories de cheptel herbivore selon leur consommation d’ali (...)
17Le nombre d’Exploitations agricoles (EA) a été divisé par deux entre 1988 et 2010 en FM (-52 %) (tableau 2). La montagne résiste un peu mieux (-48 %). En conséquence, le poids des exploitations de montagne se renforce légèrement (de 15 % en 1988 à 17 % en 2010) : désormais, en 2010, une exploitation sur six se trouve en montagne. En 2010, l’ensemble des 82 000 exploitations de montagne utilise 17 % de la SAU nationale et élève un cinquième des 14,6 millions d’Unités gros bétail (UGB)14 herbivores, répartis en 2010 sur le Massif central (56 %), les Alpes (18 %), les Pyrénées (12 %), les massifs du Jura et des Vosges (4 % chacun) et la Corse (3 %). En 2010, la proportion d’exploitants (chefs et coexploitants) âgés de moins de 40 ans est un peu plus importante en montagne (22 %) qu’en moyenne nationale (19 %). Dans la tranche d’âge 60 ans et plus, la situation est également en faveur de la montagne (17 % contre 20 % en FM).
- 15 Les exploitations de petite dimension économique (PBS 25 000 €) restent très présentes en montagn (...)
18Les dimensions des exploitations s’accroissent en FM comme en ZM, que ce soit en termes de SAU, (UGB), d’UTA ou de PBS (tableau 2). Les surfaces, cheptels, PBS ont doublé en moyenne à l’échelle de la FM. Les évolutions pour la ZM ont été moindres et les écarts de dimensions s’accroissent entre FM et ZM. Avec une PBS moyenne de 52 000 € en 2010, l’exploitation de montagne a une dimension économique égale à la moitié de la moyenne nationale. Pourtant, l’amélioration de la dimension économique a été importante en montagne depuis 1988 (+72 %)15, mais la progression a été encore plus forte au niveau national (+92 %). Le volume de travail par exploitation, vu comme le nombre moyen d’UTA/EA, augmente mais reste un peu inférieur en ZM (1,4 contre 1,5 en FM en 2010).
Tableau 2. Nombre d’exploitations (EA) et données structurelles entre 1988 et 2010 selon les zones
|
1988
|
2000
|
2010
|
Évolution
1988-2010
|
FM
|
ZM
|
FM
|
ZM
|
FM
|
ZM
|
FM
|
ZM
|
Nombre d’EA
|
1 016 755
|
157 599
|
663 807
|
106 921
|
489 977
|
81 815
|
-52 %
|
-48 %
|
SAU moyenne/EA (ha)
|
28
|
26*
|
42
|
38*
|
55
|
48*
|
+96 %
|
+86 %
|
UGB herbivores/EA ayant des herbivores
|
27
|
24*
|
41
|
37*
|
57
|
47*
|
+113 %
|
+97 %
|
PBS moyenne/EA (k€)
|
54
|
30*
|
81
|
42*
|
105
|
52*
|
+92 %
|
+72 %
|
UTA moyenne/EA
|
1,4
|
1,3*
|
1,4
|
1,3*
|
1,5
|
1,4*
|
+8 %
|
+5 %
|
Note : Les coefficients PBS utilisés pour chaque RA sont ceux de la PBS « 2007 » (moyenne des années 2005 à 2009).
Source : Agreste recensements agricoles, traitements SSP/Irstea UR DTM.
19Les évolutions concernant les types de ménages sont très similaires entre ZM et FM (graphique 1).
Graphique 1. Importance relative des types de ménages entre 1988 et 2010 selon les zones (en % des exploitations de chaque zone)
Source : Agreste recensements agricoles, traitements SSP/Irstea UR DTM.
20Le couple à activité agricole partagée n’est plus le modèle dominant : alors qu’en 1988, en ZM comme en FM, presque une exploitation sur deux était conduite par un couple dont les deux membres travaillaient sur l’exploitation, en 2010 elles sont moins d’un tiers. Cette diminution s’opère au profit des associations, familiales et non familiales, dont le poids augmente entre 1988 et 2010, représentant désormais 12 % des exploitations et environ un quart des UTA en 2010, en montagne comme au plan national. Les ménages de type « chef seul » sont désormais les plus fréquents : leur poids relatif augmente (en 2010, 33 % des EA en FM et 37 % en ZM). Ce poids des « chefs seuls » reste supérieur en montagne à chaque recensement. Quant aux couples à activité réservée, leur part est légèrement inférieure en montagne par rapport au niveau national, et leur poids diminue un peu en 2010 par rapport à 1988, après avoir augmenté en 2000. Les volumes de travail (nombre moyen d’UTA/EA) semblent relativement stables en montagne et au plan national tout en restant dans des fourchettes distinctes, un peu inférieures en montagne, pour les différents types de ménages (tableau 3).
Tableau 3. UTA par exploitation selon le type de ménages en 1988 et 2010
Moyenne UTA/EA
|
Association non familiale
|
Association familiale
|
Couple avec activité agricole partagée
|
Couple avec activité agricole réservée
|
Chef seul
|
Ensemble des exploitations
|
FM
|
1988
|
3,8
|
3,2
|
1,7
|
0,8
|
1,0
|
1,4
|
2010
|
3,5
|
3,2
|
1,7
|
1,0
|
1,1
|
1,5
|
ZM
|
1988
|
3,1
|
2,9
|
1,6
|
0,7
|
1,0
|
1,3
|
2010
|
3,3
|
2,8
|
1,6
|
0,9
|
1,0
|
1,4
|
Note : le nombre moyen d’UTA est calculé en évaluant les UTA pour l’ensemble des intervenants dans chaque exploitation : chef d’exploitation et co-exploitants mais aussi aide familial, salarié, entreprise de travaux agricoles, CUMA. Ce nombre peut ainsi dépasser 1 pour les chefs seuls, comme c’est le cas en 2010 pour la FM.
Source : Agreste recensements agricoles, traitements SSP/Irstea UR DTM.
21Nous notons des différences marquées selon les massifs. Ainsi, en 2010, la Corse et les Alpes du Sud se distinguent par la proportion importante de chefs seuls (respectivement 63 % et 47 % des exploitations), tandis que le Jura est le massif où les associations sont le mieux représentées (22 %) sans doute en lien avec l’orientation laitière dominante et une dimension économique supérieure à la moyenne. Le massif des Vosges se différencie par la forte proportion d’exploitations conduites par des couples avec une activité agricole partagée (42 %).
22Même si elle diminue depuis 1988, en ZM comme en FM, la part de la main-d’œuvre familiale est encore largement prédominante en ZM (88 % des UTA en 2010) alors qu’elle est nettement plus faible en FM, où la baisse est remarquable (de 84 % à 71 % entre 1988 et 2010) (graphique 2). En outre, cette main-d’œuvre familiale se concentre sur les chefs d’exploitation et co-exploitants, tandis que le poids du recours au travail non familial s’accroît et dépasse même en FM l’implication de la main-d’œuvre familiale (hors co-exploitants).
Graphique 2. Composition de la main-d’œuvre entre 1988 et 2010 (en % des UTA). Comparaison FM/ZM pour l’ensemble des exploitations
Source : Agreste recensements agricoles, traitements SSP/Irstea UR DTM.
23Le Massif Central, le Jura et les Pyrénées se situent dans la moyenne de la ZM, tandis qu’on note une contribution plus faible des chefs d’exploitation et co-exploitants dans le massif alpin (66 % des UTA en 2010), le massif vosgien (54 % des UTA), à mettre en relation avec les orientations de production, une pratique de la double activité par les exploitants plus répandue et un recours accru au salariat.
24La part de la main-d’œuvre non familiale augmente entre 1988 et 2010 pour l’ensemble des types de ménages, à l’exception des associations non familiales à l’échelle FM, mais elle diffère selon les types de ménages (graphique 3). En ZM, en 2010, la part d’emploi salarié est la plus présente dans les associations non familiales (18,5 % des UTA) et chez les exploitants seuls sur l’exploitation (chefs seuls et couples avec activité réservée : 14 % des UTA). En FM, l’emploi salarié est le plus représenté chez les exploitants seuls sur leur exploitation (plus du tiers des UTA), suivi par les associations, familiales ou non (de l’ordre de 28 %).
Graphique 3. Composition de la main-d’œuvre dans les exploitations en 1988 et en 2010 (en % des UTA). Comparaison FM/ZM selon le type de ménages
Source : Agreste recensements agricoles,traitements SSP/Irstea UR DTM.
- 16 Par définition de notre typologie, cela n’exclut pas d’exercer des activités dites « para-agricole (...)
25Alors que les types de combinaisons d’activités (A, P et R) des ménages ont des proportions très similaires en ZM et en FM en 1988, des différenciations s’opèrent en 2010. La part des exploitations où les ménages n’exercent qu’une activité agricole16 est en baisse entre 1988 et 2010, respectivement 39 % en ZM et 35 % en FM en 2010, contre 46 % en 1988 pour les deux zones. La part des exploitations où les ménages bénéficient d’une retraite (type R) est également en baisse, passant de 25 % pour les deux zones en 1988 à 20 % en ZM et 23 % en FM en 2010. C’est donc la part des exploitations où les ménages ont au moins une activité extérieure (et pas de retraite) qui augmente, passant de 29 % en 1988 pour les deux zones à 41 % en ZM et 42 % en FM en 2010.
26Quel que soit le type de ménage considéré, la part des exploitations où l’activité agricole est exclusive diminue entre 1988 et 2010, que ce soit en ZM ou en FM. Pour autant, la majorité des chefs seuls ne vivent que de l’activité agricole (58 % en ZM en 2010 et 54 % en FM). Ce n’est plus vrai pour les exploitations conduites par des couples à activité partagée dont la moitié ne vivait que de l’agriculture en 1988 en ZM (et 58 % en FM), mais qui ne sont plus que 35 % en 2010 (en ZM comme en FM). Il en va de même pour les associations familiales. On note la part significative des ménages avec retraite qui concerne en 2010, en ZM, environ un quart des exploitations conduites par des couples (à activité partagée ou réservée), 17 % des associations familiales, 15 % des chefs seuls, et 9 % des associations non familiales. Les proportions respectives sont du même ordre en FM. La part des exploitations avec pluriactivité progresse en ZM et en FM entre 1988 et 2010 et ce quel que soit le type de ménage considéré. En 2010, la pluriactivité à l’échelle des ménages est plus fréquente dans les exploitations conduites par des couples à activité réservée (70 % en ZM et 67 % en FM) et par des associations non familiales (53 % en ZM et 57 % en FM).
27Comment se décortique cette pluriactivité des membres des ménages ? L’analyse des activités extérieures des exploitants et de leurs conjoints fait apparaître trois enseignements majeurs (tableau 4) : (i) la pluriactivité des chefs d’exploitation et des co-exploitants est relativement stable entre 1988 et 2010 (autour de 20 %) ; (ii) en revanche, la pluriactivité des conjoints non co-exploitants augmente nettement, mais au même rythme en ZM et FM ; (iii) l’importance relative de la pluriactivité reste du même ordre en ZM et en FM. Il n’y a donc pas de différenciation entre ZM et FM. En d’autres termes, la pluriactivité des exploitants n’est pas l’apanage des montagnes et le travail des conjoints à l’extérieur n’est pas un phénomène réservé aux plaines.
Tableau 4. Pluriactivité des exploitants et des conjoints entre 1988 et 2010 selon les zones
Pluriactivité des personnes (hors retraite)
|
1988
|
2000
|
2010
|
FM
|
Chefs d’exploitation et co-exploitants
|
19 %
|
20 %
|
20 %
|
Conjoints non co-exploitants
|
22 %
|
42 %
|
53 %
|
ZM
|
Chefs d’exploitation et co-exploitants
|
20 %
|
21 %
|
20 %
|
Conjoints non co-exploitants
|
23 %
|
42 %
|
53 %
|
Source : Agreste recensements agricoles, traitements SSP/Irstea UR DTM.
28Les exploitations avec une activité agricole exclusive sont aussi minoritaires dans la plupart des massifs. Dans les Alpes du Nord, elles ne représentent que 32 % des exploitations et la proportion est encore plus faible dans le massif des Vosges (18 %) où la pluriactivité est fréquente (53 %). La Corse se distingue avec 58 % d’exploitations ayant une activité agricole exclusive. Le Jura présente le plus faible taux de pluriactivité chez les exploitants mais le plus élevé chez les conjoints non co-exploitants (64 % en 2010) avec une progression étonnante (ils n’étaient que 21 % en 1988).
29En 2010, la répartition des principales orientations de production diffère sensiblement entre ZM et FM (graphique 4). Ainsi, les exploitations spécialisées en élevage représentent 58 % des exploitations en ZM contre 34 % en FM. Inversement, les exploitations spécialisées en cultures représentent près de la moitié des exploitations en FM (47 %) et seulement 21 % en ZM. Par rapport à 1988, on note une relative stabilité des systèmes spécialisés en élevage en ZM, mais ils étaient majoritairement spécialisés en bovin lait en 1988, avec près d’un quart des exploitations dans cette orientation (contre 16 % en 2010). En 2010, les systèmes spécialisés en bovins viande dominent, passant de 17 % en 1988 à 24 %. En FM, le poids des systèmes de culture s’est renforcé (40 % en 1988) tandis que celui des systèmes bovins lait a nettement baissé (de 17 % en 1988 à 10 % en 2010).
Graphique 4. Répartition des orientations de production en 2010. Zones de montagne et France métropolitaine (en % des exploitations)
Note : Pour la signification des codes, voir le tableau 1.
Source : Agreste recensements agricoles, traitements SSP/Irstea UR DTM.
30On note des différences marquées entre massifs, qui incitent à parler des montagnes françaises. Ainsi le massif du Jura apparaît spécialisé en lait (63 % des exploitations en 2010). Les Alpes du Nord ont également une dominante de systèmes laitiers mais dans une moindre mesure (23 %) et aussi des systèmes en grandes cultures (12 %), tandis que les Alpes du Sud reposent sur trois orientations principales : fruits, ovins et grandes cultures. La Corse a aussi une part importante de systèmes spécialisés en fruits (18 %) et ovins (11 %) mais les systèmes bovins viande dominent (29 %). On retrouve cette dominante bovins viande dans le Massif central (32 %). Les Pyrénées sont orientées en systèmes ovins (26 %) et bovins viande (24 %), tandis que le massif vosgien se distingue par la dominante des systèmes viticoles (32 %), avec des systèmes laitiers (14 %) et bovins viande (11 %).
- 17 En montagne, un quart des systèmes bovins lait de montagne sont mis en œuvre par des associations, (...)
31En FM, comme en ZM, les associations non familiales restent majoritairement orientées sur le lait (passant de 27 % en 1988 à 43 % en 2010 en ZM et de 21 % à 35 % en FM) (graphique 5). Cette proportion baisse dans les associations familiales en ZM (de 40 % en 1988 à 33 % en 2010), mais elles restent encore majoritairement orientées sur le lait17. Les associations parviennent à mieux se maintenir en élevage, sans doute en lien avec une main-d’œuvre plus nombreuse. Dans les exploitations conduites par des chefs seuls, des couples à activité partagée ou réservée, on retrouve les tendances générales d’évolution vers des systèmes grandes cultures en FM et bovin viande en ZM.
Graphique 5. Répartition des orientations de production en 1988 et en 2010. Zones de montagne et France métropolitaine selon le type de ménages (en % des exploitations)
Note : Pour la signification des codes, voir le tableau 1.
Source : Agreste recensements agricoles, traitements SSP/Irstea UR DTM.
32La part des exploitations pratiquant la transformation à la ferme a légèrement augmenté entre 2000 et 2010, en ZM comme en FM (tableau 5). Elle est désormais du même ordre de grandeur en 2010 (11 %). En revanche, la commercialisation en circuits courts est davantage pratiquée par les exploitations de montagne : 24 % en 2010 contre 18 % en moyenne nationale. C’est en Corse que ces deux modes de valorisation sont le plus pratiqués (35 % des EA pour la transformation et 62 % pour les circuits courts), devant les exploitations des massifs alpin et vosgien. Mais ils sont très peu pratiqués dans le massif du Jura à dominante laitière, où ce sont les coopératives de village (les fruitières) qui fabriquent le fromage et le commercialisent.
Tableau 5. Transformation à la ferme, production sous SOQ, AB, et commercialisation en circuits courts en FM et ZM (en % des exploitations de chaque type de ménage)
|
Transformation à la ferme
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SOQ
|
AB
(yc conversions en cours)
|
Circuits courts
|
FM
|
ZM
|
FM
|
ZM
|
FM
|
ZM
|
FM
|
ZM
|
2000
|
2010
|
2000
|
2010
|
2010
|
2010
|
2000
|
2010
|
2000
|
2010
|
2010
|
2010
|
Association non familiale
|
14 %
|
12 %
|
25 %
|
23 %
|
32 %
|
49 %
|
4 %
|
7 %
|
6 %
|
12 %
|
23 %
|
37 %
|
Association familiale
|
14 %
|
14 %
|
14 %
|
15 %
|
37 %
|
52 %
|
1 %
|
4 %
|
2 %
|
4 %
|
21 %
|
25 %
|
Couple activité partagée
|
11 %
|
13 %
|
13 %
|
16 %
|
30 %
|
33 %
|
2 %
|
4 %
|
2 %
|
6 %
|
22 %
|
29 %
|
Couple activité réservée
|
7 %
|
9 %
|
8 %
|
7 %
|
23 %
|
25 %
|
1 %
|
3 %
|
2 %
|
4 %
|
14 %
|
21 %
|
Chef seul
|
7 %
|
9 %
|
8 %
|
8 %
|
24 %
|
22 %
|
1 %
|
3 %
|
1 %
|
4 %
|
15 %
|
21 %
|
Ensemble
|
9 %
|
11 %
|
10 %
|
11,5 %
|
27 %
|
30 %
|
1 %
|
4 %
|
2 %
|
5 %
|
18 %
|
24 %
|
Note : des exploitations peuvent produire à la fois sous SOQ et en AB.
Source : Agreste recensements agricoles, traitements SSP/Irstea UR DTM.
33En 2010, la production sous SOQ est un peu plus fréquente en montagne (30 %) qu’au niveau national (27 %), et il n’est guère étonnant de trouver le massif du Jura au premier rang (92 % des systèmes bovins-lait sont sous SOQ). Il en va de même pour l’AB (5 % en ZM en 2010, contre moins de 4 % en FM), avec en tête le massif des Alpes du Sud (8,5 % des EA), suivi par les Alpes du Nord et le massif vosgien (7 %).
34La part des exploitations pratiquant des activités touristiques à la ferme semble stagner entre 2000 et 2010 (un peu plus de 3 % des EA en ZM et 2 % en FM). Elles sont particulièrement développées dans le massif vosgien (7 % en 2010 ; cf. le modèle emblématique des fermes-auberges), en Corse et dans les Alpes du Sud (6 %).
35En ZM comme en FM, ce sont chez les couples à activité réservée et les chefs seuls que ces modes de valorisation de l’activité agricole sont les moins présents. Ce sont en effet dans les types de ménages où la main-d’œuvre est plus nombreuse que nous retrouvons principalement ces modes de valorisation qui peuvent être exigeants en travail : dans les associations, également chez les couples à activité partagée.
36La définition statistique de l’exploitation agricole et la méthode des recensements se révèlent un moyen efficace pour porter sur l’activité agricole une vision d’ensemble (Laurent et Rémy, 2000). L’accès aux données individuelles des RA, par leur richesse et le développement de croisements inédits, permet à la fois de : (i) se prémunir du traitement d’un rassemblement d’exploitations diverses vu comme un ensemble homogène ; (ii) saisir des phénomènes qui ne s’inscrivent pas dans les tendances antérieures, par exemple le déclin relatif du modèle du couple participant ensemble aux différentes tâches agricoles sur l’exploitation, ou le développement d’associations non familiales comme voie émergente de maintien de la production laitière ; (iii) offrir un autre regard sur les formes d’exercice de l’activité agricole et de saisir le poids réel de tendances perçues dans des travaux de terrain, notamment sur les recompositions des liens entre familles et exploitations (Madelrieux et al., 2014), décryptées ici par types de ménage agricole (ce que ni les statuts juridiques ni les UTA ne donnent à voir).
37Pour autant, la radiographie proposée est orientée par le choix des critères et des traitements réalisés. Nous n’avons abordé ici qu’une partie du champ des analyses possibles. Nous aurions pu aborder d’autres aspects, par exemple la place des femmes. Dobremez et Borg (2015) montrent ainsi, en ZM comme en FM, un net accroissement depuis 1988 de la part des femmes chefs d’exploitation ou co-exploitantes (passant de 15 % en 1988 à 26-27 % en 2010 pour les deux zones).
38La série temporelle utilisée (1988, 2000 et 2010) permet de dépasser les photographies instantanées, qui peuvent masquer les mutations (Gambino et al., 2012). Pour autant, elle est à manipuler avec précaution car les définitions des rubriques et variables ont pu évoluer entre les différents RA, comme nous l’avons signalé à différentes reprises dans cet article.
39Tout comme Gambino et al. (2012), nous nous demandons si le prisme des catégories statistiques, avec le choix de variables relativement statiques d’un recensement à l’autre, permet toujours bien de saisir les contours d’une réalité changeante ? Comment faire à la fois évoluer les rubriques et variables des RA pour coller au plus près de la réalité changeante et permettre la profondeur historique ? S’il était possible de suivre ce que devient chaque exploitation d’un recensement à l’autre, nous pourrions alors véritablement dresser des trajectoires d’évolution d’exploitations, au-delà de la confrontation de deux séries et de la caractérisation des tendances d’évolution entre les deux (Madelrieux et al., 2015). Mais l’identifiant de l’exploitation est modifié d’un recensement à l’autre. On notera l’intérêt des Enquêtes Structures qui sont réalisées entre deux RA à une périodicité de 2-3 ans, où l’identifiant est préservé à chaque enquête. Même si ces enquêtes portent sur un échantillon réduit par rapport au champ du recensement, c’est une source intéressante à explorer (Dobremez et Borg, 2010).
40Notre questionnement concernant les évolutions des formes d’exercice de l’agriculture en montagne a conduit à introduire un premier découpage : ZM et FM, et à initier une première lecture de l’hétérogénéité territoriale. Nous avons choisi de confronter la zone de montagne à la France métropolitaine (qui inclut la ZM), plutôt qu’à la zone disjointe et complémentaire « France hors zone montagne » car, pour les traitements inédits, il nous a semblé intéressant de produire les données pour la France afin d’indiquer les tendances générales au plan national. Ces données peuvent également plus facilement être remobilisées pour d’autres travaux, que celles des seules zones hors montagne. Certains des éléments présentés peuvent être retrouvés dans l’étude de Dobremez et Borg (2015), déclinée selon différents découpages : FM, ZM, France hors ZM, zone de haute montagne, ZM des différents massifs.
41Nous en restons quand même à des images moyennes de la montagne (comme de la France) alors que, selon les massifs et même au sein des massifs, la diversité est grande et les évolutions ne sont pas toujours identiques. Nous l’avons illustrée à diverses reprises, mais le travail de croisements reste à approfondir et pourrait conduire, modulo le secret statistique, à des typologies enrichies en fonction de particularités géographiques. Perrot et al. (2013), analysant les systèmes laitiers, montrent par exemple le poids des exploitations individuelles sans salarié dans le Massif central, des formes sociétaires dans les Alpes du Nord et dans le Jura, et des exploitations individuelles avec salariés dans les zones de polyculture-élevage.
42Le nombre d’exploitations ne cesse de diminuer et les formes d’exercice de l’agriculture se transforment. Des composantes de ces formes d’exercice qui étaient peu présentes en 1988 se sont développées (par exemple des types de ménages comme les associations, ou des modes de valorisation comme l’AB), quand d’autres qui dominaient se sont réduites (par exemple des types de ménages comme les couples à activité partagée, ou des orientations de production comme les bovins lait), et d’autres se sont affirmées (comme le recours au salariat). Les chemins empruntés par les exploitants semblent se multiplier. On observe ainsi, à la suite de Gambino et al. (2012), une réduction de la population agricole mais une hétérogénéisation des formes d’exercice de l’activité agricole. Pour mieux comprendre cet éclatement, il faudrait maintenant mettre en relation ces évolutions avec celles du contexte agricole (marchés, politiques), des filières, des territoires et des familles (Cournut et al., 2012). Par exemple, les évolutions des orientations de production vers les grandes cultures en FM et en bovin viande en ZM peuvent se comprendre par une revalorisation du prix des céréales et des aides publiques aux systèmes grandes cultures, à partir de 1992. Tandis que les systèmes laitiers avec l’astreinte quotidienne liée à la traite et aux soins aux animaux ont été incités à cesser la production (mesures d’accompagnement des quotas laitiers instaurés en 1984), favorisant une reconversion vers des systèmes allaitants.
43L’activité agricole n’est plus aussi centrale qu’avant dans les activités des ménages agricoles. Elle devient une activité parmi d’autres, ou plutôt l’activité d’un des conjoints, comme chez les ménages non agricoles où chacun a son activité (Madelrieux et al., 2014). Cela s’accompagne d’un resserrement de la main-d’œuvre familiale autour des seuls exploitants, d’un recours accru au salariat et d’une réorientation vers des systèmes moins exigeants en travail et davantage soutenus par les aides publiques (lait vers viande en montagne et élevage vers culture ailleurs). Ces grandes tendances sont encore plus marquées à l’échelle nationale. Le modèle du couple travaillant ensemble sur l’exploitation, qui s’appuie encore sur la main-d’œuvre familiale, est en recul mais il reste toujours présent. L’apparition de nouvelles formes d’exercice peut être historiquement située, mais les différentes formes continuent de coexister et peuvent être observées dans l’agriculture d’aujourd’hui (Mundler et Rémy, 2012).
44En développant une analyse longitudinale sur l’ensemble des critères étudiés, nous pouvons faire ressortir quelques cas de figure typiques pour chaque catégorie de ménages, par exemple en montagne : des chefs seuls ne vivant que de l’activité agricole, sans valorisation particulière de la production, en système bovin viande ; des couples à activité réservée avec un système d’élevage mixte où l’exploitant a recours à du salariat ; des couples à activité partagée en bovin viande, mais avec au moins une activité extérieure ou transformant la viande et la valorisant en circuits courts ; des associations familiales, en production laitière sous SOQ où au moins un des conjoints travaille à l’extérieur ; ou encore des associations non familiales en système laitier bio avec transformation à la ferme, et avec recours au salariat. Il s’agirait désormais de cibler différentes formes d’exercice par type de ménage, et de quantifier leurs poids dans le paysage montagnard (il en irait de même au plan national) par de nouveaux traitements.
45Les différences les plus marquées restent celles relatives aux dimensions économiques et aux orientations de production, ce qui n’est guère étonnant compte tenu des potentialités agronomiques différentes (contraintes pédoclimatique et géographique).
46Mais le croisement des variables révèle d’autres divergences. Si le poids des différents types de ménages est le même entre ZM et FM, les ménages agricoles de montagne s’appuient davantage sur la main-d’œuvre familiale, alors qu’en FM la part d’emploi salarié est plus importante que celle de la main-d’œuvre familiale non co-exploitante. Et ce recours au salariat est plus fréquent en ZM dans les associations non familiales et en FM chez les chefs seuls. La présence de ménages avec une activité exclusivement agricole reste supérieure en ZM, et l’écart est le plus important par rapport à la FM pour les associations. Les orientations en élevage spécialisées ou mixtes sont dominantes, quel que soit le type de ménage en ZM. Elles le sont en FM uniquement dans les associations et couples à activité partagée, où la main-d’œuvre est encore nombreuse. Quant aux modes de valorisation de l’activité agricole, ils sont un peu plus présents en ZM, en particulier pour la vente en circuits courts. Dobremez et Borg (2015) montrent d’autres traits spécifiques : les moyennes apparemment proches entre ZM et FM pour la transformation à la ferme ou les produits sous SOQ masquent une différenciation selon les orientations de production. En plaine, ce sont surtout les systèmes viticoles qui sont concernés, alors que dans toutes les autres orientations de production, la transformation fermière est davantage pratiquée en montagne. De même, l’importance des systèmes bovins lait et ovins sous SOQ est une caractéristique de la ZM (cf. les AOP fromagères).
- 18 La transmission recouvre trois aspects : (i) un patrimoine physique (moyens de production) et symb (...)
47L’agriculture de montagne présente des atouts : davantage de jeunes agriculteurs, une implication plus forte dans la qualité des produits et les circuits courts, mais aussi des structures collectives valorisant des alpages et estives, des orientations de production et des pratiques techniques plus favorables au plan environnemental (Dobremez et Borg, 2015). Mais elle n’échappe pas au vieillissement de la population active agricole. Dans presque un quart des exploitations de ZM, on a un chef d’exploitation de plus de 55 ans sans successeur connu (cette proportion est d’ailleurs du même ordre au plan national). Ce constat vaut pour l’ensemble des massifs, à l’exception du Jura où les perspectives de succession sont mieux assurées (seulement 17 %). En revanche, le massif vosgien, la frange limousine du Massif central, une partie des Alpes du Nord, la bordure méridionale des Alpes du Sud et la partie centrale des Pyrénées ont une proportion relativement importante d’exploitations sans succession assurée (Dobremez et Borg, 2015). Cela est surtout le cas dans les ménages de type chef seul et couples. Le développement des associations peut apparaître de bon augure par rapport à des questions de reprises d’exploitation, mais cela ne se fait pas sans difficultés (Terrier et al., 2012)18.
48Les changements d’orientation productive des systèmes bovins du lait vers la viande posent question, car ces derniers sont fortement subventionnés (Martin et al., 2014), ce qui représente un risque pour le maintien des exploitations en montagne, au cas où les subventions spécifiques, comme la prime à la vache allaitante, viendraient à fortement diminuer voire à disparaître. La situation économique des exploitations de montagne reste préoccupante malgré des soutiens publics spécifiques. Et des problèmes se posent, susceptibles de fragiliser certains systèmes d’élevage fréquents en montagne (suppression des quotas laitiers, prédation des troupeaux ovins). La baisse de la main-d’œuvre familiale n’est pas toujours compensée par du recours au salariat et les problèmes de travail s’expriment de plus en plus dans les exploitations d’élevage (Madelrieux et al., 2009). Le devenir de l’agriculture de montagne dépendra aussi de la façon dont seront réfléchis la diminution du nombre d’exploitations et le resserrement de la main-d’œuvre familiale sur les seuls exploitants. Comment peut-on en effet éviter un trop fort isolement des exploitants dans leur territoire (Salmona, 2003), faciliter l’ouverture des exploitations à des travailleurs non familiaux, ainsi que la transmission des outils de production ?